Neutralité suisse : un pilier sous pression
La neutralité suisse, garante de notre souveraineté, est menacée par des pressions internationales croissantes.
SOUVERAINETÉ ET SÉCURITÉPOLITIQUE NATIONALE
Éric Jaunin
5/6/20254 min read
La neutralité suisse, garante de notre souveraineté, est menacée par des pressions internationales croissantes. De l’OTAN à l’UE, les appels à « moderniser » notre position se multiplient. Décryptage des enjeux et des risques pour un pilier de notre identité.
La neutralité suisse, forgée par des siècles de prudence diplomatique, est plus qu’une posture : c’est un pilier de notre identité. Consacrée par le Congrès de Vienne en 1815, elle a permis à la Suisse de traverser guerres et crises sans s’aligner sur les puissances étrangères. Pourtant, en 2025, ce principe fondamental vacille sous des pressions internationales croissantes. De Bruxelles à Washington, des voix s’élèvent pour pousser Berne à « moderniser » sa position. Derrière ces appels, un enjeu : la souveraineté suisse. Cet article décrypte les forces en jeu et les défis qui se posent à notre neutralité.
Les sirènes de l’alignement
Le 12 mars 2025, un sénateur au Conseil des États a plaidé pour une « coopération renforcée » avec l’OTAN lors d’un débat sur la sécurité européenne. Le terme, anodin en apparence, cache une réalité : une invitation à diluer notre neutralité au profit d’un alignement atlantiste. Depuis la guerre en Ukraine, les pressions se multiplient. En 2024, la Suisse a rejoint les sanctions européennes contre la Russie, une décision saluée par l’UE mais critiquée par ceux qui y voient un précédent dangereux. À Bruxelles, où j’ai couvert les négociations européennes, le mot « harmonisation » revient sans cesse. Traduction : un nivellement des souverainetés nationales sous l’égide d’intérêts supranationaux.
L’Union européenne, bien que partenaire commercial clé, exerce une pression constante. L’échec de l’accord-cadre en 2021 n’a pas clos le dossier. En février 2025, un rapport de la Commission européenne suggérait que l’accès de la Suisse au marché unique pourrait être conditionné à une « convergence stratégique » sur les questions de défense. Autrement dit, pour vendre nos montres et nos médicaments, nous devrions céder sur notre autonomie.
Une neutralité active, pas passive
La neutralité suisse n’a jamais été synonyme de passivité. Historiquement, elle s’accompagnait d’une défense robuste – le Réduit National en est l’emblème – et d’une diplomatie agile. Genève, siège d’organisations internationales, incarne ce rôle de médiateur. Pourtant, certains à Berne semblent prêts à troquer cette neutralité active pour une posture de suiveur. Lors d’une audition au Parlement en janvier 2025, un haut fonctionnaire du DFAE a évoqué la nécessité d’« adapter » notre doctrine face aux « réalités géopolitiques ». Une telle rhétorique inquiète. Adapter, c’est souvent abdiquer.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon une étude de l’Institut suisse de politique internationale (2024), 72 % des Suisses souhaitent maintenir une neutralité stricte, contre seulement 19 % favorables à un rapprochement avec l’OTAN. Ce soutien populaire est un rempart, mais il ne suffit pas. Les lobbies internationaux, relayés par certains médias et élites helvétiques, martèlent que la neutralité est « dépassée » dans un monde polarisé. Ils omettent un détail : c’est précisément cette neutralité qui garantit notre résilience.
Les risques d’un glissement
Céder aux pressions internationales aurait des conséquences profondes. Premièrement, un alignement, même partiel, avec l’OTAN ou l’UE compromettrait notre rôle de médiateur. Qui confierait des négociations de paix à un pays perçu comme partisan ? Deuxièmement, cela fragiliserait notre démocratie directe. Les décisions prises à Bruxelles ou Washington échappent au peuple suisse, contrairement aux votations. Enfin, un abandon de la neutralité pourrait diviser la société. Les divergences entre Romands, Alémaniques, et Tessinois sur les questions internationales sont réelles, et une politique étrangère aventureuse risquerait d’attiser les tensions.
Un exemple récent illustre ce danger. En décembre 2024, la participation de la Suisse à une conférence de l’OTAN sur la cybersécurité a suscité des critiques, notamment en Suisse romande, où 65 % des sondés (baromètre SSR) estimaient que cela « violait » la neutralité. Ce malaise reflète une vérité : les Suisses chérissent leur indépendance, et toute entorse est perçue comme une trahison.
Défendre la neutralité, un impératif
Face à ces défis, Berne doit tenir bon. La neutralité n’est pas une relique, mais une stratégie gagnante. Elle nous protège des conflits, attire les investissements étrangers (la Suisse abrite 35 % des sièges d’organisations internationales), et renforce notre crédibilité mondiale. Pour la préserver, trois actions s’imposent :
Réaffirmer la doctrine : Le Conseil fédéral doit publier une déclaration claire, excluant tout engagement militaire ou stratégique avec des alliances comme l’OTAN.
Renforcer la défense nationale : Une armée forte, comme au temps du Réduit, dissuade les pressions. Le budget militaire, en hausse de 4 % en 2025, est un pas dans la bonne direction.
Mobiliser le peuple : Une initiative populaire pour ancrer la neutralité dans la Constitution, comme proposé par des cercles conservateurs, pourrait galvaniser le soutien populaire.
La neutralité suisse est un trésor, mais un trésor fragile. À Bruxelles, j’ai vu des nations abdiquer leur autonomie sous des promesses de « sécurité » ou de « prospérité ». La Suisse, elle, a toujours su tracer sa voie. Comme l’a dit Ignazio Cassis en 2023, « notre neutralité n’est pas négociable ». À nous de le rappeler, à Berne comme à l’étranger. Car dans les détails, comme toujours, se joue notre souveraineté.