Milice ou professionnalisation : l’avenir de notre armée
Entre tradition historique et exigences du monde moderne, l’armée suisse se trouve à la croisée des chemins.
POLITIQUE NATIONALESOUVERAINETÉ ET SÉCURITÉ
Par Damien Studer – Policier et journaliste
5/7/20252 min read
Entre tradition historique et exigences du monde moderne, l’armée suisse se trouve à la croisée des chemins. Faut-il préserver son modèle milicien, ancré dans l’identité helvétique, ou tendre vers une force plus professionnelle, permanente et spécialisée ? La question divise. Et elle mérite mieux que des réponses idéologiques.
Depuis plus d’un siècle, la Suisse repose sur un principe simple et puissant : le citoyen-soldat. Ce système de milice n’est pas seulement un mécanisme d’organisation militaire, c’est un symbole de notre souveraineté, de notre neutralité armée et de notre confiance en l’individu responsable.
Chaque Suisse apte au service est appelé à contribuer, non seulement à sa défense, mais aussi à l’unité du pays. Cette idée, aujourd’hui, semble de plus en plus remise en question.
Avec les bouleversements géopolitiques récents – la guerre en Ukraine, les tensions autour de l’OTAN, les cybermenaces croissantes – une voix monte : celle des partisans d’une professionnalisation accrue. Selon eux, notre armée milicienne serait trop lente, trop dispersée, trop peu apte à réagir efficacement aux crises modernes. Il faudrait, disent-ils, renforcer la disponibilité, l’élite technique, la mobilité. Peut-être même créer un corps permanent, détaché des contingents citoyens.
Ce constat n’est pas sans fondement. Les technologies militaires ont évolué. Le champ de bataille n’est plus seulement terrestre : il est numérique, informationnel, stratégique. Le besoin d’expertise dans des domaines comme la cyberdéfense, les systèmes de drones, la guerre électronique, est réel. Une armée du XXIe siècle ne peut pas fonctionner seulement avec des hommes formés quelques semaines par an.
Mais ce n’est pas une raison pour balayer d’un revers de main le modèle de milice.
Ce système est plus qu’un outil de défense : il est un lien civique et moral. Il crée une armée qui ressemble à son peuple. Une armée qui ne s’isole pas dans des casernes ou des états-majors, mais qui vit au rythme du pays réel. Les soldats suisses sont aussi des boulangers, des comptables, des artisans, des enseignants. Ce brassage social renforce la cohésion nationale, et assure que la défense n’est pas réservée à une caste.
En tant que policier, j’ai vu ce que produit la perte de lien entre institutions et population. L’armée suisse ne doit pas suivre ce chemin. La professionnalisation peut devenir une tentation technocratique : plus d'efficacité, peut-être, mais moins d’ancrage, moins de légitimité.
La bonne voie, c’est celle du modèle mixte et intelligent. Une armée qui conserve une base milicienne forte, tout en développant des unités spécialisées, formées de professionnels aguerris dans des domaines techniques. Une armée où la majorité continue à être formée à la défense du pays, mais où l’on n’hésite pas à renforcer les capacités critiques là où le citoyen-soldat ne peut suffire.
Ce modèle demande du courage politique, car il ne fait plaisir ni aux nostalgiques ni aux modernistes radicaux. Il exige aussi un budget stable, une formation cohérente, une vision stratégique à long terme.
Mais c’est le prix à payer pour rester libre, neutre, et capable.
Et dans un monde qui vacille, il n’y a rien de plus moderne que de défendre ce qui nous a tenus debout.