Les impacts de l’immigration sur les petites communes suisses

L’immigration transforme les petites communes suisses, apportant des bénéfices économiques mais aussi des défis sociaux et culturels.

SOCIÉTÉ ET IDENTITÉPOLITIQUE NATIONALE

Damien Kellenberger

5/6/20254 min read

L’immigration transforme les petites communes suisses, apportant des bénéfices économiques mais aussi des défis sociaux et culturels. Quels sont les impacts réels pour ces villages ? Un décryptage basé sur les faits.

Les petites communes suisses, souvent perçues comme des bastions de traditions et de cohésion sociale, font face à une transformation silencieuse sous l’effet de l’immigration. Si les grandes villes comme Zurich ou Genève absorbent la majorité des flux migratoires, les villages – d’Appenzell à la Gruyère – ne sont pas épargnés. En 2024, selon le Secrétariat d’État aux migrations (SEM), 22 % des nouveaux arrivants se sont installés dans des communes de moins de 10 000 habitants. Ce dossier examine les impacts de cette immigration, entre apports économiques, tensions sociales et défis d’intégration, avec un regard lucide sur ce que cela signifie pour l’avenir de nos villages.

Un apport économique indéniable

Les petites communes suisses, souvent confrontées au vieillissement de leur population, bénéficient de l’arrivée de nouveaux habitants. À Frutigen (BE), par exemple, l’installation de familles portugaises et kosovares a permis de maintenir l’école communale, qui risquait de fermer faute d’élèves. En 2023, 15 % des enfants scolarisés dans cette commune étaient issus de familles immigrées, selon les chiffres cantonaux. Ces familles apportent aussi une main-d’œuvre essentielle. À Saxon (VS), des travailleurs italiens et espagnols ont revitalisé les exploitations agricoles locales, un secteur où les jeunes Suisses se font rares.

Les données économiques confirment cet apport. Une étude de l’Université de Neuchâtel (2024) montre que les communes rurales ayant accueilli des immigrants entre 2015 et 2023 ont vu leur PIB local augmenter de 2,5 % en moyenne, contre 0,8 % pour celles restées homogènes. Les immigrants paient des impôts, consomment localement et contribuent aux caisses de prévoyance, un enjeu crucial alors que la population suisse vieillit. À Boltigen (BE), un boucher d’origine turque a ouvert une boutique qui emploie trois apprenants suisses, prouvant que l’immigration peut créer des opportunités pour tous.

Des tensions sociales et culturelles

Mais ces bénéfices économiques ne masquent pas les défis. Dans de nombreuses petites communes, l’arrivée d’immigrants a suscité des tensions. À Trun (GR), un village de 1 200 habitants, l’installation de 40 demandeurs d’asile en 2022 a divisé la population. Des habitants se sont plaints de « nuisances » – bruit, incivilités – et une pétition a circulé pour limiter les nouveaux arrivants. Les chiffres de la police grisonne montrent pourtant une hausse marginale des incidents : +3 % d’infractions mineures en 2023, loin de l’insécurité décrite par certains.

Le choc culturel est souvent au cœur des préoccupations. À Fully (VS), des habitants ont mal vécu l’organisation de fêtes communautaires par des familles albanaises, perçues comme « trop bruyantes » et incompatibles avec le calme villageois. Ces tensions reflètent un malaise plus profond : 58 % des Suisses ruraux estiment que l’immigration « change les traditions locales », selon un sondage SSR de 2024. Les petites communes, où les liens sociaux reposent sur des habitudes séculaires, peinent à intégrer des modes de vie différents. Les écoles, par exemple, doivent gérer des élèves ne parlant pas la langue locale, ce qui demande des ressources – souvent insuffisantes.

Des infrastructures sous pression

L’immigration met aussi les infrastructures locales à rude épreuve. À Saas-Grund (VS), l’arrivée de 150 nouveaux résidents entre 2020 et 2024, principalement des travailleurs saisonniers, a saturé le système de logement. Les loyers ont augmenté de 12 % en trois ans, rendant l’accès au logement difficile pour les jeunes Suisses du village. Les transports publics, peu développés dans ces régions, souffrent également : à Glaris Sud, les bus reliant les villages aux centres urbains sont bondés, avec une hausse de 20 % des usagers en 2023.

Les services publics peinent à suivre. À Laufon (BL), la commune a dû embaucher une assistante sociale supplémentaire pour gérer les dossiers des familles immigrées, souvent confrontées à des difficultés administratives. Mais le budget communal, déjà serré, ne permet pas d’investir davantage. Ces pressions infrastructurelles alimentent un sentiment d’injustice : beaucoup d’habitants estiment que les autorités fédérales imposent l’immigration sans fournir les moyens nécessaires pour l’accompagner.

Le défi de l’intégration

L’intégration reste le nœud du problème. Dans les petites communes, où les réseaux sociaux sont tissés serrés, les nouveaux arrivants peuvent se sentir exclus. À Disentis (GR), une association locale a lancé des cours de romanche pour les immigrants, mais seulement 10 % des concernés y participent, par manque de temps ou d’intérêt. Les données de l’Office fédéral de la statistique (2024) montrent que 45 % des immigrants dans les communes rurales se disent « isolés socialement », contre 25 % en ville. Ce fossé culturel renforce les préjugés : à Zermatt, des rumeurs sur des « réseaux criminels » liés aux migrants ont circulé, bien que les statistiques policières locales n’aient enregistré aucune hausse significative de la criminalité.

Les autorités communales, souvent démunies, ne savent pas toujours comment répondre. À Riggisberg (BE), le conseil communal a organisé des soirées d’échange culturel, mais la participation des Suisses reste faible. Les initiatives d’intégration, lorsqu’elles existent, manquent de moyens et de vision à long terme. Sans un effort concerté, le risque est de voir se creuser un fossé entre « eux » et « nous », fragilisant la cohésion sociale.

Une gestion à repenser

L’immigration dans les petites communes suisses n’est pas une menace en soi, mais elle exige une gestion rigoureuse. Les bénéfices économiques sont réels, mais ils ne doivent pas occulter les défis sociaux, culturels et infrastructurels.

Pour préserver l’harmonie de nos villages, trois mesures s’imposent :

- renforcer les budgets communaux pour accompagner l’intégration,
- limiter les flux migratoires dans les zones déjà saturées,
- et investir dans des programmes d’échange culturel pour rapprocher les communautés.

Sans cela, nos petites communes risquent de perdre ce qui fait leur essence : un équilibre entre tradition et ouverture. La Suisse doit agir, et vite.