La langue romanche : un trésor suisse à protéger
Le romanche, langue minoritaire des Grisons, est un joyau de l’identité suisse. Mais face à la globalisation, sa survie est menacée. Pourquoi devons-nous le protéger ?
SOCIÉTÉ ET IDENTITÉ
Dr. Léa Roth
5/7/20253 min read


Le romanche, langue minoritaire des Grisons, est un joyau de l’identité suisse. Mais face à la globalisation, sa survie est menacée. Pourquoi devons-nous le protéger ?
Dans les vallées des Grisons, où les Alpes murmurent des siècles d’histoire, une langue ancienne résonne encore : le romanche. Parlée par environ 60 000 Suisses, soit 0,7 % de la population, cette langue minoritaire est un trésor culturel, un fil qui nous relie à nos racines latines. Mais en 2025, sa survie est plus que jamais menacée par la globalisation, l’exode rural et l’indifférence. En tant que sociologue, je vois dans le romanche bien plus qu’un idiome : un symbole de la diversité suisse, une mémoire vive de notre identité. Protéger cette langue, c’est préserver l’âme de notre nation.
Une langue au cœur de notre diversité
Le romanche, dérivé du latin vulgaire parlé par les légions romaines, est attesté dans les Grisons depuis le Ve siècle. Il se décline en cinq idiomes principaux – sursilvan, vallader, puter, surmiran et sutsilvan – chacun avec sa musicalité propre. Depuis 1938, il est reconnu comme langue nationale, et depuis 1996, comme langue officielle dans les Grisons, aux côtés de l’allemand et de l’italien. Cette reconnaissance reflète un principe fondamental de la Suisse : la pluralité linguistique comme ciment de notre unité. À Disentis, où le sursilvan domine, les enfants chantent encore « Crusch Alva » lors des fêtes communales, un hymne à la liberté helvétique.
Mais le romanche est bien plus qu’un outil de communication. Comme l’a écrit le linguiste grisonnais Gian Paul Dazzi en 2020, « le romanche porte en lui les paysages, les croyances, les luttes de nos ancêtres ». Il incarne une identité locale, une résistance culturelle face à l’uniformisation. À Samedan, les aînés racontent des légendes en vallader, tandis qu’à Scuol, des poètes comme Peider Lansel ont immortalisé la langue dans des vers vibrants. Perdre le romanche, c’est perdre une part de notre mémoire collective.
Une langue en danger
Malgré sa richesse, le romanche est fragile. Selon l’Office fédéral de la statistique (2024), seuls 44 000 Suisses le parlent couramment, contre 66 000 en 2000, soit une baisse de 33 % en 24 ans. Cette érosion s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, l’exode rural : les jeunes quittent les vallées grisonnes pour Zurich ou Genève, où l’allemand et le français dominent. À Sur, 60 % des 18-30 ans ne parlent plus le surmiran à la maison, préférant l’allemand pour des raisons professionnelles (enquête Lia Rumantscha, 2023). Ensuite, la globalisation impose l’anglais comme langue universelle, reléguant le romanche à un rôle folklorique.
Les efforts institutionnels, bien que louables, peinent à inverser la tendance. La Lia Rumantscha, fondée en 1919, promeut la langue à travers des médias comme Radio Rumantsch, mais son budget, réduit de 15 % en 2024, limite son impact. Les écoles bilingues, comme à Trun, sont un succès – 80 % des élèves se disent attachés au romanche – mais elles manquent de moyens. Enfin, la concurrence des langues majoritaires est écrasante : dans les Grisons, seuls 15 % des documents administratifs sont disponibles en romanche, contre 70 % en allemand.
Pourquoi protéger le romanche ?
Protéger le romanche, c’est défendre l’essence de la Suisse. Notre pays est une mosaïque, et chaque langue – français, allemand, italien, romanche – est une pièce de ce puzzle. Perdre le romanche, c’est appauvrir notre diversité, un pilier de notre cohésion nationale. Comme le montrent mes recherches à Bâle, les langues minoritaires renforcent le sentiment d’appartenance : 72 % des locuteurs romanches se disent « très attachés » à leur identité suisse, contre 58 % pour la moyenne nationale (sondage SSR, 2024).
C’est aussi un acte de résistance face à la globalisation. Dans un monde où tout s’uniformise, le romanche est un rempart, un rappel que l’identité locale a du sens. À Scuol, les cours de romanche pour adultes attirent même des non-Grisonnais, preuve que cette langue peut fédérer au-delà des vallées. Enfin, préserver le romanche, c’est honorer nos ancêtres, qui l’ont porté à travers les siècles malgré les invasions et les bouleversements.
Des actions concrètes pour l’avenir
Pour sauver le romanche, il faut agir. D’abord, augmenter les fonds pour la Lia Rumantscha et les écoles bilingues, en garantissant au moins 10 % du budget culturel fédéral à la langue. Ensuite, encourager son usage dans l’administration grisonne : 50 % des documents officiels devraient être en romanche d’ici 2030. Enfin, sensibiliser les jeunes via des initiatives culturelles – festivals, chansons, réseaux sociaux – pour leur redonner fierté et envie de parler romanche. À Samedan, un compte TikTok en vallader a déjà 5 000 abonnés : c’est un début.
Le romanche n’est pas un vestige, mais un trésor vivant. À nous, Suisses, de le protéger, car dans ses mots résonne notre histoire. Comme le dit un proverbe sursilvan : « La lingua ei il cor d’ün pievel » – la langue est le cœur d’un peuple. Gardons ce cœur battant.