La Fête des Vignerons : un héritage suisse à préserver

La Fête des Vignerons, joyau du patrimoine suisse, célèbre la terre et la fraternité à Vevey. Mais face à la globalisation, cette tradition séculaire est-elle en danger ?

SOCIÉTÉ ET IDENTITÉ

Lionel Genoud

5/6/20254 min read

La Fête des Vignerons, joyau du patrimoine suisse, célèbre la terre et la fraternité à Vevey. Mais face à la globalisation, cette tradition séculaire est-elle en danger ? Une réflexion sur son importance et les défis de sa préservation.

Dans un monde où les traditions s’effacent sous le poids de la modernité, la Fête des Vignerons de Vevey demeure un symbole éclatant de l’âme suisse. Organisée une fois par génération, elle célèbre le travail de la terre, la fraternité et l’enracinement. Mais face à la globalisation, cet héritage est-il en péril ? Cet article explore la signification profonde de cette fête et les enjeux de sa survie dans une société en mutation.

Un rituel ancré dans l’histoire

La Fête des Vignerons, dont les origines remontent au XVIIIe siècle, est bien plus qu’un spectacle. Organisée par la Confrérie des Vignerons à Vevey, elle honore le labeur des vignerons du Lavaux, ces terrasses viticoles classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. Tous les 20 à 25 ans, des milliers de figurants, musiciens et artisans se réunissent pour un spectacle grandiose mêlant théâtre, musique et danses traditionnelles. En 2019, la dernière édition a attiré près d’un million de spectateurs, témoignant de sa vitalité.

Mais la Fête est avant tout un rituel social. Comme le note l’ethnologue suisse Bernard Crettaz, elle incarne « une communion collective où la communauté se raconte à elle-même ». Les rôles – vignerons, bergers, divinités mythologiques – sont transmis de génération en génération, tissant un lien entre passé et présent. Ce n’est pas un hasard si l’UNESCO a inscrit la Fête au patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2016 : elle est un modèle d’enracinement et de résilience.

Une célébration de l’identité suisse

La Fête des Vignerons est un miroir de l’âme suisse. Elle célèbre des valeurs fondamentales : le lien à la terre, le travail artisanal, la fraternité communautaire. À Vevey, des familles entières, des enfants aux aînés, participent à la préparation, renforçant le tissu social. Mes recherches en Gruyère montrent que de telles fêtes locales – comme la Bénichon ou la Désalpe – jouent un rôle clé : 68 % des Suisses ruraux déclarent que ces événements renforcent leur sentiment d’appartenance (sondage SSR, 2023).

La Fête incarne aussi la diversité suisse. Les costumes, inspirés des traditions vaudoises, valaisannes et fribourgeoises, rappellent la richesse des identités régionales. Les chants, en français et parfois en patois, célèbrent la pluralité linguistique. À une époque où la globalisation promeut l’uniformité, la Fête des Vignerons est un acte de résistance culturelle, un rappel que la Suisse est une mosaïque unie par des valeurs communes.

Les menaces de la modernité

Pourtant, cet héritage est fragile. La globalisation, avec son cortège de standardisation culturelle, menace les traditions comme la Fête des Vignerons. Les jeunes générations, attirées par les métropoles et les cultures numériques, se désintéressent parfois des rituels locaux. En 2019, la Confrérie a dû intensifier ses efforts pour recruter des figurants, un signe préoccupant. Selon une étude de l’Université de Lausanne (2024), seulement 42 % des 18-30 ans dans le canton de Vaud se sentent « très attachés » aux traditions régionales, contre 67 % pour les plus de 50 ans.

Les pressions économiques pèsent également. Organiser la Fête coûte cher – 100 millions de francs en 2019, financés par des sponsors, des subventions et des billets. Mais la montée du tourisme de masse et la commercialisation excessive risquent de dénaturer l’événement. Certains critiques, dans la presse romande, ont déploré une « disneyfication » de la Fête, où l’authenticité cède la place au spectacle. Ce risque est réel : une tradition vidée de son sens devient un simple produit.

Enfin, les défis environnementaux compliquent la donne. Les vignobles du Lavaux, cœur de la Fête, subissent les effets du changement climatique. Des étés plus chauds et des pluies irrégulières affectent les récoltes, comme l’a rapporté l’Office fédéral de l’agriculture en 2024. Si la terre souffre, la Fête, qui la célèbre, en pâtit aussi.

Préserver l’héritage : un devoir collectif

Face à ces défis, préserver la Fête des Vignerons est un impératif. Elle n’est pas qu’un événement vaudois : elle appartient à tous les Suisses. Trois pistes d’action s’imposent :

Transmettre aux jeunes : Les écoles doivent intégrer l’histoire de la Fête dans leurs programmes. Des ateliers de costumes ou de chants, comme ceux organisés en 2019, pourraient séduire les nouvelles générations.

Protéger l’authenticité : La Confrérie doit limiter la commercialisation excessive et privilégier les artisans locaux pour les décors et costumes, comme le recommande l’Association pour le patrimoine vaudois.

Soutenir les vignerons : Des aides publiques et des pratiques durables, comme l’agriculture biologique, sont essentielles pour préserver les vignobles du Lavaux face au changement climatique.

La Fête des Vignerons n’est pas un vestige du passé, mais un phare pour l’avenir. Elle nous rappelle que l’identité suisse, forgée par la terre et la communauté, est un trésor à chérir. Comme l’écrivait Ramuz, « la tradition est une flamme qu’il faut nourrir ». À nous de la garder vive, pour Vevey et pour la Suisse.