Céline Vara à Oman : les limites de la vie privée en politique

Le voyage de la conseillère d’État neuchâteloise Céline Vara à Oman a déclenché une polémique sur son exemplarité. Mais où s’arrête la vie privée d’un élu ? Une réflexion sur les attentes envers nos dirigeants.

SOCIÉTÉ ET IDENTITÉPOLITIQUE NATIONALE

Claire Monney

5/7/20255 min read

Le voyage de la conseillère d’État neuchâteloise Céline Vara à Oman a déclenché une polémique sur son exemplarité. Mais où s’arrête la vie privée d’un élu ? Une réflexion sur les attentes envers nos dirigeants.

Le 4 mai 2025, le quotidien alémanique Blick a révélé que Céline Vara, fraîchement élue au Conseil d’État neuchâtelois, avait passé des vacances familiales dans un hôtel de luxe à Oman, à 5 200 km de la Suisse. Ce séjour, nécessitant neuf heures d’avion, a suscité une vague de critiques, notamment en raison de son incohérence apparente avec les valeurs écologistes des Verts, parti de l’élue, et du choix d’un pays controversé pour ses atteintes aux droits humains. Après un silence initial, Céline Vara s’est exprimée dans Arcinfo le 6 mai, défendant son droit à la vie privée et dénonçant un « coup bas médiatique et politique ». Cet épisode, loin d’être anodin, soulève une question cruciale : jusqu’où la vie privée d’un élu doit-elle être exemplaire ? Et comment concilier les exigences de la vie publique avec les libertés personnelles ?

Un voyage sous le feu des critiques

Céline Vara, qui entrera en fonction le 27 mai après vingt ans d’absence des Verts au Conseil d’État neuchâtelois, a préparé ce voyage à Oman avec ses filles pendant deux ans, motivée par des activités comme l’observation des tortues marines. Elle insiste sur le caractère privé de ce séjour, payé de sa poche, et rappelle que les Verts n’interdisent pas les voyages en avion, même s’ils doivent rester « une exception ». Pourtant, les critiques fusent. Le trajet de 5 200 km, générant entre 7 et 9,5 tonnes de CO2 pour une famille de quatre personnes, contredit les discours des Verts sur l’impact climatique du trafic aérien. De plus, Oman, un sultanat pétrolier souvent dénoncé pour ses discriminations envers les femmes, semble en décalage avec les combats féministes de l’élue.

Les réactions politiques ne se sont pas fait attendre. Yvan Perrin, ancien conseiller d’État neuchâtelois UDC, a fustigé sur les réseaux sociaux une élue qui « aime interdire aux autres ce qu’elle s’autorise volontiers ». Même au sein des Verts, le voyage a suscité des remous : certains membres, selon Blick, ont critiqué en privé un « silence maladroit » et un manque de cohérence avec la charte du parti. D’autres, comme Victor Tschopp, président des Jeunes Verts neuchâtelois, ont défendu Céline Vara, estimant que ces attaques sont une « diversion » des vrais enjeux politiques. Mais l’opinion publique, elle, reste partagée : 58 % des Neuchâtelois interrogés par un sondage SSR (5 mai 2025) estiment qu’un élu doit être exemplaire, y compris dans sa vie privée.

Vie publique, vie privée : une frontière floue

Ce scandale n’est pas une première. En 2022, la députée valaisanne Magali Di Marco avait été critiquée pour un voyage aux Comores, jugé incompatible avec ses positions écologiques. Ces affaires révèlent une évolution des attentes envers les élus. Si, au XVIIIe siècle, les conseillers d’État neuchâtelois, nommés par le prince, pouvaient agir loin des regards, l’ère des réseaux sociaux et de la transparence a changé la donne. Aujourd’hui, un élu est scruté en permanence, et ses choix personnels deviennent des arguments politiques.

Céline Vara, dans Arcinfo, dénonce un « double standard » : ce qui est toléré chez certains hommes politiques devient une « affaire d’État » lorsqu’il s’agit d’une femme écologiste. Elle n’a pas tort. Les critiques sur son voyage semblent amplifiées par son profil – une Verte, féministe, nouvellement élue – alors que des élus de partis plus conservateurs échappent souvent à ce niveau de scrutiny pour des comportements similaires. Mais cet argument ne suffit pas à clore le débat. En 2019, Vara elle-même avait critiqué le gouvernement fribourgeois pour un voyage en avion à Londres, pointant du doigt les « jeunes qui partent le week-end pour faire la fête ». Cette contradiction alimente le reproche d’hypocrisie, un reproche d’autant plus cinglant que les Verts ont fait de l’exemplarité écologique un étendard.

Les attentes des citoyens suisses

Les Suisses, attachés à leurs valeurs de cohérence et de responsabilité, ont des attentes élevées envers leurs élus. Un sondage de l’Institut suisse de politique internationale (2024) révèle que 72 % des citoyens estiment qu’un élu doit incarner les valeurs qu’il défend, même dans sa vie privée. Cette exigence est particulièrement forte dans un pays où la démocratie directe donne au peuple un rôle central : un élu est perçu comme un représentant direct des citoyens, pas comme un individu ordinaire. À Neuchâtel, où Céline Vara a été élue sur un programme écologiste, son voyage à Oman est vu par certains comme une trahison des promesses électorales.

Pourtant, la défense de la vie privée reste un argument légitime. Céline Vara a invoqué des raisons personnelles, notamment la sécurité de ses filles, placées sous protection policière en 2021 après des menaces liées à l’initiative anti-pesticides. Ce contexte, rarement mentionné dans les critiques, rappelle que les élus sont aussi des êtres humains, avec des familles et des besoins de repos. Interdire à un élu tout voyage en avion, même exceptionnel, reviendrait à nier son droit à une vie privée. Mais dans un canton comme Neuchâtel, où les enjeux climatiques sont au cœur des débats politiques, ce choix personnel devient un acte public.

Un équilibre à redéfinir

L’affaire Céline Vara met en lumière une tension fondamentale : comment concilier les exigences de la vie publique avec les libertés de la vie privée ? D’un côté, les élus doivent montrer l’exemple, surtout sur des sujets aussi sensibles que l’écologie ou les droits humains, qui touchent à l’identité suisse – neutralité, responsabilité, respect des valeurs. De l’autre, ils ont droit à une sphère privée, sans laquelle la politique deviendrait invivable. Harcelée par des menaces, scrutée par les médias, Céline Vara a peut-être sous-estimé l’impact symbolique de son voyage, mais elle a raison de rappeler que « aucune faute légale » n’a été commise.

Pour avancer, la Suisse doit clarifier ses attentes. Les partis politiques, y compris les Verts, devraient établir des lignes directrices claires sur l’exemplarité, tout en protégeant la vie privée des élus. Les citoyens, eux, doivent accepter que leurs représentants ne soient pas parfaits, mais cohérents dans leurs combats. Enfin, les médias ont un rôle à jouer : plutôt que de se focaliser sur des polémiques personnelles, ils devraient recentrer le débat sur les actions politiques concrètes.

Car, comme le disait Ignazio Cassis en 2023, « la politique suisse se joue dans les actes, pas dans les symboles ». À Céline Vara de prouver, dès le 27 mai, que son mandat sera à la hauteur de ses engagements.